vendredi, octobre 22, 2004

Combien faut-il de sales féministes pour changer une loi

Un peu de lecture bande de feignant(e)s

Extrait de Libé - 22 octobre 2004 -


Homophobie, sexisme: le mauvais cocktail de Matignon

Le projet de loi du gouvernement scandalise les féministes.

Par Marie-Joëlle GROS


La preuve que les femmes sont vraiment des emmerdeuses ? Le gouvernement leur fait un cadeau en ajoutant le mot «sexiste» à une loi conçue, voulue par et pour les homosexuels afin de réprimer les propos homophobes. Et elles sont furieuses.

Mercredi, la Cadac (Coordination d'associations féministes), les Chiennes de garde et le Planing familial ont demandé que ce texte «dangereux» soit entièrement modifié lors du débat parlementaire prévu début décembre. L'AVFT (Association contre les violences faites aux femmes) est passée de la «colère au refus global du projet». La présidente UMP de la délégation aux droits des femmes, Marie-Jo Zimmerman, qui se définit comme «ni féministe, ni révolutionnaire», juge ce texte «humiliant et méprisant pour les femmes». Elle a fait connaître au début du mois sa désapprobation via un communiqué cinglant pour le gouvernement.

Punir. Sur les cinq articles qui vont réformer la loi sur la presse, seul le premier, visant la «provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence», prend en compte le sexisme comme circonstance aggravante. Il a pour conséquence remarquable de punir plus lourdement les propos incitant à la violence physique que la violence physique elle-même. Dire que «les femmes ne comprennent que les coups» pourra coûter un an de prison et 45 000 euros d'amende. Frapper une femme n'est passible que de 1 500 euros d'amende. Mieux : en ne retenant que l'«orientation sexuelle» (l'homosexualité) et pas le «sexe» (le fait d'être une femme selon le législateur) pour l'injure et la diffamation, Matignon dit qu'il est deux fois plus grave de proférer des injures homophobes que sexistes, et quatre fois plus «mal» de diffamer un homosexuel qu'une femme. «Espèce d'enculé» vaut six mois de prison et 22 500 euros d'amende, «sale pute» 12 000 euros et pas de prison. Dire : «le mariage homosexuel est à la mode parce que les homos contrôlent les médias» coûte un an de prison et 45 000 euros ; «les femmes ministres ont forcément couché», 12 000 euros d'amende

Bêtise. S'agit-il d'un acte délibéré, manqué, ou de bêtise ? Cette dernière hypothèse vise explicitement Nicole Ameline, secrétaire d'Etat chargée des Femmes qui a célébré «une grande avancée pour les femmes». Dominique Perben, garde des Sceaux, à qui il reviendra de défendre le texte, ne voulait pas de cet ajout, imposé par Matignon. Il ne voulait d'ailleurs pas de cette loi, remise en orbite pour consoler les homosexuels du «niet» au mariage. Personne ne peut expliquer pourquoi le mot «sexiste» a été ajouté à la dernière minute, en juin, sans consultation. Pour l'AVFT, cela servira juste à expulser des étrangers, musulmans de préférence, visés par «la provocation à la discrimination, à la haine ou la violence sexiste». Ce projet de loi place en outre les féministes dans une situation intenable de rivalité avec le mouvement homosexuel, pourtant solidaire d'elles. «Dès le début, nous avons refusé que soit instaurée une hiérarchie, et il est insupportable que l'on puisse penser que nous avons obtenu cette réforme sur le dos des femmes», dit Alain Piriou, de l'Inter LGBT (Interassociative lesbienne, gi, bi, trans).

Si le texte est présenté en l'état à l'Assemblée, la gauche va se retrouver prise au piège. En votant contre, elle se met à dos le mouvement homosexuel. En votant pour, les féministes. Les députés de gauche tentent de parer les coups en préparant une «contre-proposition de loi» sur l'ensemble des violences sexistes. Il se peut aussi que la loi ne voit jamais le jour. Promise avant la Gay Pride de juin 2004, elle a déjà été repoussée. Son éclatement en plein vol réjouirait la frange de l'UMP hostile au volet homophobie. Mais aussi tous ceux qui s'inquiètent de l'inflation des interdictions légales de penser, d'écrire et de dire.